Quai des Oiseaux
Ce mercredi 7 juin a eu lieu la remise des récompenses du prix Philippe Delerm 2006, auquel j'ai participé. Et sur 140 textes d'adultes envoyés, ma nouvelle a été choisie pour être dans les 50 qui seraient publiées. J'ai donc reçu en cadeau des éditions Valhermeil le recueil "prix Philippe Delerm 2006" avec ma tite nouvelle dedans, suis contente et je risque de pas mal trimballer le livre (c'est pas tous les jours que je serai éditée!)
Voici le texte publié :
Quai des Oiseaux
Tchip Tchip.
Tchip Tchip.
Le train
viendra bientôt. Nous sommes peu sur le quai. Les haut-parleurs de la gare
musiquent. Rien à lire. Personne à qui dire quelque chose. Je sautille,
m’agite, danse, ça me distrait. Quelqu’un monte les marches. Retour à mon
immobilité.
Me distraire
en pensées sera plus discret.
Tchip Tchip. Tchip Tchip. Ou
peut-être cui cui cui cui. Peu importe. J’entends, j’écoute. Joli ruisseau de
notes. Je lève les yeux.
Deux oiseaux,
chacun sur un poteau, tchipent tchipent en battant des ailes.
Peut-être
parlent-ils ?
Oui, parce que
mon imagination le veut. Romainpie et Elopie parlent, indifférents au quai en
dessous, aux gens, aux trains qui passent. Ils sont bien au-dessus de tout ça.
Romainpie
conte fleurette. Tchip Tchip. Il chante à Elopie qu’elle est jolie. Spontanée,
elle répond aussitôt, battant des ailes comme une humaine battrait des cils.
Elle répond que de jolis tchips elle en a entendu, que des idylles de
printemps, elle en a connu, et qu’elle n’en peut plus. Romainpie ne s’avoue pas
vaincu. Elopie jolie a de jolies ailes, un joli bec, de jolies pattes.
« tchip
tchip je ne suis pas de ceux qui se lasseront de vous, qui vous laisseront. Je
ne m’imagine plus sans vous. »
Retour à la
réalité. Une voix devenue synthétique, modifiée par le haut-parleur, annonce
que mon train aura du retard. Tant mieux. Car Romainpie et Elopie ne m’y
suivront pas.
Ce qui se
trame entre eux ne me regarde pas. Mais ce que je sais d’eux, je l’imagine
seulement. Ce n’est pas comme si je les espionnais, comprenant leur langage.
Tchip Tchip.
Oh… j’ai raté
quelques mots…
Elle lui
concède que ses mots semblent vrais, puis « rejoins-moi grand fou ». Il
bat des ailes sans pépier. Hésite-t-il ? Qu’a-t-elle dit auparavant ?
Je laisse mes
divagations romantiques reconstituer la scène. Il a parlé de ses espoirs et de
ses rêves, il a semblé sincère. Elle s’est senti l’audace d’une aventurière.
Tchip Tchip.
Battements d’ailes. Battements d’ailes continus. Elle s’envole, il la suit. Je
ne les vois bientôt plus…
Et s’ils
m’avaient vue ? je n’étais pas assez discrète, regard levé, au lieu de
regarder devant, ou regarder mes pieds, comme le font ces autres choses
multicolores que Romainpie et Elopie ont toujours vues d’en haut, se demandant
souvent comment ils supportaient d’être sans aile, accrochés au sol… ils
avaient bien des bouts d’eux, 2 pattes pour avancer, 2 autres pour… brasser de
l’air ? S’agiter vainement ? Romainpie et Elopie l’ignoraient mais
cela leur importait peu. Ils savaient cependant que ces bouts ballants parfois
par un « fusil » se prolongeaient, objet projetant loin de petits
assassins sans cervelle, allant là où on les envoie et n’ayant épargné ni
Lolapie ni Caropie…
Mais là,
maintenant, tout de suite, Romainpie et Elopie ne pensent certainement pas aux
humains, ni même aux autres animaux.
Ils sont
cachés, faisant ce qui leur plaît.
Je reste là,
clouée au sol, seule.
Aucun tchip
tchip ne parvient plus à mes oreilles. A nouveau j’entends la musique. A
nouveau je me souviens que j’attends mon train. Je regarde devant moi. Je
regarde mes pieds.
Je regarde le
ciel. Y aurait-il d’autres oiseaux ? Oui. Mais ils ne restent pas,
s’envolent trop loin pour moi.
Rien.
Rien.
Rien…
rien d’intéressant du moins.
A nouveau la
voix synthétique : mon train va entrer en gare.
Mes pensées
achèvent leur descente des nuages au béton, du ciel au sol, de la légèreté aux
artifices compliqués.
Je monte dans
le train.